Débats/Opinions <./> / ARTICLE IRAK Les incursions américaines au coeur de Bagdad se multiplient Après la guerre, renouons nos alliances ! PAR PIERRE LELLOUCHE, JEAN-JACQUES DESCAMPS, HERVÉ MARITON, JÉRÔME RIVIERE ET MICHÈLE TABAROT * [08 avril 2003] Nous n'étions jusqu'alors qu'une poignée de parlementaires à nous inquiéter publiquement de l'attitude française dans la crise irakienne, vis-à-vis notamment de nos alliés traditionnels. Nous disions simplement qu'il fallait associer nos efforts par une pression commune, diplomatique et militaire, afin d'obtenir un désarmement de l'Irak sans recourir automatiquement à la guerre, mais sans l'exclure non plus. Nous disions aussi qu'en déclarant à l'avance et en toutes circonstances que nous refuserions la guerre nous ne pourrions qu'encourager Saddam Hussein à continuer à gagner du temps. Nous disions enfin qu'une telle attitude n'empêcherait pas la guerre, mais qu'elle conduirait inéluctablement à ce qu'elle se fasse hors de l'ONU : l'exact contraire de l'objectif recherché par la diplomatie française. Pour avoir tenu ce langage, il est vrai bien solitaire, pour avoir rappelé le million de morts causés par Saddam Hussein lui-même, nous fûmes considérés, tantôt comme des «atlantistes», tantôt comme les partisans d'un abominable «camp de la guerre». La guerre commencée, nous vîmes déferler une invraisemblable désinformation, visant à faire de la France le héraut du «camp de la paix» face à l'action inhumaine des Américano-Britanniques. Nous vîmes défiler dans les rues de Paris des oriflammes irakiens aux cris de «Vive Saddam, mort aux Juifs». Nous vîmes notre diplomatie, faite hier d'indépendance nationale mais de solidarité avec nos alliés, caricaturée de neutralisme teinté de pacifisme et de violents relents d'antiaméricanisme. Nous vîmes aussi, à notre grande honte, un tiers des Français souhaiter la victoire de Saddam dans les sondages, et d'autres encore profaner dans des conditions particulièrement ignobles le cimetière militaire britannique d'Etaples, dans le nord de la France. Fort heureusement, un coup d'arrêt salutaire a été donné à de telles dérives. Le président de la République a écrit à la reine Elisabeth pour lui dire la dette de la France à l'égard des soldats britanniques tombés sur notre sol ; le premier ministre a ces derniers jours clairement pris position pour la démocratie contre le totalitarisme du régime de Saddam Hussein. Et des accents de prompte réconciliation avec ces alliés de toujours commencent à réapparaître dans la presse. Il est vrai que la plupart des médias n'ont pas ménagé leur peine depuis le début de la guerre, il y a presque trois semaines. A les entendre, à les voir ou à les lire, les Américains se heurtaient à une résistance irakienne forte et inattendue, leurs plans se révélaient faux, les pertes élevées, les opinions publiques mondiales de plus en plus révoltées. Bref, le monde allait subir les conséquences des folies du clan Bush. On oubliait de préciser que la stratégie militaire de la coalition consistait au départ à éviter le plus possible toute agression de civils, donc les attaques terrestres des villes, ralentissant volontairement la prise des agglomérations urbaines. Et que donc une telle guerre ne se gagnerait pas en huit jours. On oubliait de dire que trente ans de dictature ne prédisposaient pas les populations opprimées à se rebeller sans être sûres de leur sécurité, surtout après la première guerre de 1991, où elles se sont senties trahies au cessez-le-feu final. On oubliait de dire que les Etats-Unis n'étaient pas seuls puisque les gouvernements britannique, espagnol, italien, danois, hollandais, canadien, australien, japonais les soutiennent, que 72% des Américains approuvent la décision de leur président. Il n'est pourtant plus temps d'épiloguer sur les responsabilités des uns et des autres dans l'échec diplomatique qui a abouti à ce que tout le monde craignait : la guerre sans l'aval de l'ONU, menée par ceux qui en avaient les moyens, acceptée sans le dire par ceux qui ne veulent pas, à juste titre, de la victoire de Saddam Hussein, et donc indirectement de celle des islamistes intégristes. Il est temps, en revanche, d'affirmer combien sont irresponsables ceux, trop nombreux encore dans notre pays, qui, bien tranquilles devant leur télévision, après avoir espéré en secret que la coalition américano-britannique échouerait en Irak, attendent aujourd'hui la «libanisation» de l'Irak, une sorte de gigantesque Gaza qui ferait de ce pays un nouveau Vietnam urbain pour l'Amérique. Nous pensons quant à nous, une fois encore, que le scénario du pire n'est pas le plus probable. Saddam abattu, le peuple irakien aura enfin la chance de vivre en paix et de construire des institutions fédérales et démocratiques. A nous de l'y aider. D'ici là, il faut évidemment tout faire pour que cette guerre se termine vite avec le minimum de victimes. Il faut évidemment que la France, l'Europe, l'Otan et l'ONU soient pleinement associées à la reconstruction de l'Irak démocratique, et du Proche-Orient de l'après-guerre. En cela, nous rejoignons pleinement les objectifs exprimés par notre diplomatie. Mais le plus sûr chemin pour ce faire, tout comme notre intérêt national nous le commande, à nous Français, c'est de renouer le plus vite possible avec l'alliance fondamentale qui nous lie avec ceux dont les valeurs morales et humanistes sont les plus proches des nôtres, c'est-à-dire ceux des pays d'essence libérale, ceux de la coalition en guerre. Car, même si nous sommes différents, même si nous n'avons pas à suivre aveuglément les Etats-Unis ou d'autres, nous devrons néanmoins ensemble résister dans l'avenir à l'intégrisme, au terrorisme et aux proliférateurs de tout crin. De même, c'est ensemble que nous devrons installer la paix au Moyen-Orient et dans le monde, dans une multipolarité d'influences où celles des Etats-Unis et de l'Europe devront être équilibrées, alliées et prépondérantes. Mais, pour que ce monde multipolaire existe au-delà des discours prononcés sur les estrades internationales, il est essentiel que nous menions rapidement à bien une construction de l'Europe qui se traduise par une vision commune de notre avenir, par l'existence d'une politique étrangère de défense européenne, basée sur des moyens militaires à la hauteur de 450 millions de citoyens européens. Une telle recon struction implique là aussi la réconciliation avec la Grande-Bretagne d'abord, l'Espagne, l'Italie, le Portugal, sans oublier les ex-pays de l'Europe de l'Est un peu meurtris par notre attitude. Même si nos amitiés peuvent évoluer, leur noyau dur doit rester celui qui nous a réunis depuis plus de deux siècles, et qui nous a permis de vaincre le nazisme et le communisme, et non pas celui, aventureux, qui serait assis sur des considérations tactiques ou économiques peu conformes à nos valeurs morales et culturelles. Nous aurons besoin de cette alliance occidentale dans le futur, dans un monde décidément plus chaotique et dangereux que la stabilité à laquelle nous avions été habitués pendant un demi-siècle de guerre froide. * Députés UMP de Paris, d'Indre-et-Loire, de la Drôme et des Alpes-Maritimes.