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A L'OCCASION DU 40EME ANNIVERSAIRE
DU TRAITE DE L'ELYSEE

MONSIEUR JACQUES CHIRAC
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

ET MONSIEUR GERHARD SCHROEDER
CHANCELIER DE LA REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE

INVITES DU JOURNAL
DE FRANCE 2 ET DE ARD

ET INTERROGES PAR
OLIVIER MAZEROLLE ET ULRICH WICKERT

PARIS

MERCREDI 22 JANVIER 2003

ULRICH WICKERT - Bonsoir, Monsieur le Président.

LE PRESIDENT - Bonsoir.

ULRICH WICKERT - Bonsoir, Monsieur le Chancelier.

LE CHANCELIER - Bonsoir.

ULRICH WICKERT (en français) - Nous nous trouvons ici à l'Elysée, à Paris, et c'est ici qu'a été signé le Traité de l'amitié franco-allemande, le 22 janvier, il y a quarante ans. C'était la réconciliation des deux pays.

OLIVIER MAZEROLLE (en allemand) - Au préalable, c'étaient les peuples qui s'étaient réconciliés. ADENAUER a été admis en France et de GAULLE a été accueilli en Allemagne de façon tout à fait enthousiaste.

(Reportage)

QUESTION - Ici, vous voyez dans cette salle, l'exemplaire original du Traité qui avait été signé. Signé en France par le chef de l'Etat, le général de GAULLE, et du côté allemand par le Chancelier fédéral Konrad ADENAUER. Monsieur le Chancelier, Versailles, dans l'histoire allemande, c'est une ville un peu particulière : 1871, le Traité de Versailles signe la naissance de l'empire allemand, et puis 1919, le Traité de Versailles signe la défaite allemande. Alors, pour l'Allemand que vous êtes, aujourd'hui Versailles, qu'est-ce que cela doit représenter ?

LE CHANCELIER SCHROEDER - Cela signifie tout d'abord que les dates que vous avez citées, 1871 et 1919, ont pu être surmontées par la volonté des peuples et une politique sage. Par ailleurs, cela signifie, cela traduit une émotion qu'on a pu ressentir aujourd'hui. Une émotion qui montre que l'amitié franco-allemande n'est pas simplement une affaire de raison ou de politique. Mais pour les intéressés, pour les hommes et les femmes des deux pays, l'amitié franco-allemande est devenue une affaire de coeur.

QUESTION - Monsieur le Président, que représente Versailles pour vous-même ?

LE PRESIDENT - L'espoir. L'espoir de la démocratie et de la paix fortement enracinées dans l'Europe de demain.

QUESTION - Monsieur le Chancelier, on vous voit tous les deux ce soir, mais on a vu, tout à l'heure, de GAULLE-ADENAUER, ensuite, on a vu GISCARD-SCHMIDT, puis KOHL-MITTERRAND et on s'est dit : pendant longtemps, CHIRAC-SCHROEDER, ce n'est pas qu'ils soient hostiles l'un envers l'autre, mais, enfin, il ne se passe pas grand chose avec eux. Et puis depuis trois mois, subitement, l'Allemagne et la France font des choses ensemble. Quel a été le facteur déclenchant ?

LE CHANCELIER SCHROEDER - Tout d'abord, il n'y a jamais eu d'inimitié entre nous. Parfois, il y a des stéréotypes ou des clichés, on trouve cela parfois chez les journalistes. J'ai toujours beaucoup de respect devant l'expérience politique et la capacité d'analyse du Président de la République, et je dirais que si nous ne devions pas coopérer d'un point de vue professionnel, je serais ravi qu'il m'invite dans un bistrot pour partager le dîner avec lui, pour partager un bon vin, une bonne bière...

LE PRESIDENT - ...Nous y allons tout à l'heure.

LE CHANCELIER SCHROEDER - Et je serais très curieux d'entendre, par exemple, toutes ses connaissances de la culture asiatique, de la culture africaine. C'est passionnant de s'entretenir avec lui. Donc, abandonnons les clichés et les stéréotypes. Nous savons que nous devons bien sûr travailler ensemble dans l'intérêt de nos peuples, mais je le fais avec grand plaisir.

LE PRESIDENT - Je voudrais ajouter une chose. C'est effectivement un cliché. D'abord, nous avons toujours eu les meilleures relations sur le plan humain et personnel. Ensuite, la solidarité active, cela suppose qu'il y ait des problèmes qui exigent, je dirais, un certain effort de solidarité pour les régler. Alors, quand tout va bien, cela ne se manifeste pas. Lorsque le problème arrive, c'est là où l'on voit la véritable entente. Nous l'avons vue à Bruxelles, au Conseil de Bruxelles, quand il a fallu prendre des décisions communes entre l'Allemagne et la France pour permettre l'élargissement. Nous l'avons fait. Et nous l'avons fait en faisant chacun un geste fort en direction de l'autre. Un geste qui supposait la confiance et surtout qui supposait la confiance dans l'Europe de demain. De la même façon, lorsqu'il s'est agi de revoir nos institutions, nous avons apporté une contribution commune en faisant là aussi un pas important l'un vers l'autre pour arriver à une conception commune de notre vision de l'Europe de demain au service de tous les Européens. C'est là où l'on voit la vraie solidarité, au moment où les problèmes se posent.

QUESTION - Il n'en a pas toujours été ainsi. Par exemple, au Sommet de Nice, les choses ont été un peu plus difficiles ?

LE PRESIDENT - Nous avons eu, et c'est la seule fois depuis que nous travaillons ensemble, une divergence de vues au Sommet de Nice. C'est vrai et nous ne l'avons pas surmontée comme il aurait fallu. Les torts sont certainement partagés. Mais cela nous a permis d'en tirer une conclusion : c'est que lorsque nous ne sommes pas tout à fait d'accord, lorsque nous ne faisons pas l'effort nécessaire pour être tout à fait d'accord, et sans arrière-pensée, alors les choses se passent mal. Eh bien, nous gardons cela présent à la mémoire.

QUESTION - Aujourd'hui on a appris dans la déclaration franco-allemande que l'on pourrait, par exemple, être à la fois de nationalité allemande et de nationalité française. Alors, c'est quelque chose qui parfois peut surprendre. Mais qu'est-ce que signifie cela à vos yeux, Monsieur le Chancelier, que l'on puisse avoir ces deux nationalités en même temps ?

LE CHANCELIER SCHROEDER - C'est la conséquence de la façon dont a évolué la relation franco-allemande que les citoyens et les citoyennes de nos deux pays puissent acquérir la nationalité française et allemande. Cela va encore réclamer quelque temps avant que cela puisse entrer dans les faits. Mais ce serait extraordinaire qu'on y parvienne et cela voudrait dire que là où l'on habite, que ce soit un Français en Allemagne ou un Allemand en France, on puisse participer à la démocratie politique, par exemple, en prenant part aux élections nationales ou européennes. Je trouve que c'est une perspective remarquable qui est ici ouverte.

QUESTION - Mais il manque quand même de grands projets, pourquoi est-ce que la France et l'Allemagne ne coopèrent-ils pas pour traiter la crise économique ou du chômage ?

LE CHANCELIER SCHROEDER - Permettez-moi d'ajouter que, les grands projets, on les a eus aux Conseils européens de Bruxelles et de Copenhague. Qui prétendrait que l'élargissement de l'Union européenne n'a pas de dimension historique ? Je pense que nombreux parmi les auteurs du Traité de l'Elysée, il y a quarante ans, n'auraient jamais rêvé un tel événement. Mais, notamment grâce à notre coopération, ceci est entré dans les faits.

Et, pour ce qui est de la politique économique et financière, nous sommes au coeur d'un processus à travers un dialogue constructif avec Bruxelles, pour que nous puissions avoir davantage de coordination et, là encore, cela dépendra de la France et de l'Allemagne et nous y parviendrons.

LE PRESIDENT - Je voudrais ajouter une chose : c'est que ce grand projet c'est naturellement une solidarité parfaite entre nos deux pays. Mais au-delà de la satisfaction que nous pouvons en avoir, c'est au service d'une ambition et cette ambition c'est l'Europe et pour l'Europe nous avons clairement affirmé nos grands projets.

Qu'est-ce que nous voulons ? Nous voulons ensemble participer activement d'abord à la refondation de l'Europe par une Constitution qui organisera notre espace commun, dans un monde qui a besoin de l'Europe, où plus aucune nation ne peut seule gérer le destin du monde, où l'Europe doit être présente comme force de paix et de démocratie, porteuse d'un certain humanisme.

Ensuite nous voulons réussir l'élargissement. Pour réussir l'élargissement, il faut renforcer l'autorité, adapter nos institutions. Là encore, il y a eu une contribution commune franco-allemande avec cet objectif d'avoir une Europe qui réponde vraiment aux besoins de la jeunesse d'aujourd'hui et de ses enfants de demain.

Troisièmement, ce que nous voulons c'est avoir une Europe qui puisse vraiment parler, donc qui assume sa sécurité et sa défense, d'où notre projet commun d'union européenne de sécurité et de défense.

Et enfin ce que nous voulons, ce que nous avons clairement affiché, c'est que nous voulons une Europe qui, pour tous ses citoyens, assure le progrès, la liberté, la justice, la sécurité et ceci dans un contexte, dans une ambition qui est celle de notre humanisme commun, des valeurs qui nous sont communes et qui sont communes à l'ensemble des pays européens et qui doivent être portées de telle sorte qu'elles puissent influencer le monde de demain. Cet humanisme qui est au coeur même de notre civilisation et auquel nous voulons redonner toute sa force.

QUESTION - Monsieur le Président, Europe de la paix, Europe de la défense, Europe de politique étrangère. Il se trouve qu'il y a une crise importante en ce moment avec celle de l'Iraq, la France est aussi l'alliée des Etats-Unis mais ne partage pas le point de vue des Etats-Unis, pour le moment sur la crise iraquienne, et la question que tout le monde se pose, c'est de savoir si, compte tenu de cette alliance, la France pourrait, malgré tout, aller jusqu'à utiliser son droit de veto si elle l'estimait nécessaire au Conseil de sécurité de l'ONU ?

LE PRESIDENT - Nous avons d'abord sur ce point, l'Allemagne et la France, une vision commune des choses. Seul le Conseil de sécurité est habilité, dans un monde organisé et respectueux des règles de vie commune, à engager une action militaire.

QUESTION - Mais, vous êtes acteur ?

LE PRESIDENT - Et seul ce Conseil de sécurité peut le faire, sur le rapport des inspecteurs, conformément aux résolutions qui ont été prises antérieurement. Donc, pour agir sur le plan militaire, il faut une nouvelle résolution qui le décide. C'est une première chose. Deuxièmement, nous pensons, Allemands et Français, que la guerre est toujours la plus mauvaise des solutions. C'est toujours un constat d'échec. Et nous voyons aujourd'hui, avec le rapport des inspecteurs, qu'un délai supplémentaire est nécessaire, et que le désarmement indispensable de l'Iraq, la coopération active de l'Iraq pour ce désarmement est une nécessité, mais qu'aujourd'hui, on peut espérer qu'elle soit mise en oeuvre. Voilà notre position commune.

QUESTION - Délai supplémentaire nécessaire, Monsieur le Président, dans votre esprit, pour les inspecteurs, c'est plusieurs semaines, plusieurs mois ?

LE PRESIDENT - M. EI BARADEI a demandé plusieurs mois.

QUESTION - Monsieur le Chancelier, pourriez-vous imaginer que la République fédérale vote non au Conseil de sécurité ?

LE CHANCELIER SCHROEDER - Clairement, je l'ai répété, hier, je ne vois pas comment il pourrait y avoir un vote positif. D'autre part, il est clair que les objectifs sont exactement les mêmes. Il s'agit de mettre en oeuvre la résolution du Conseil de sécurité. Mais je ne veux pas renoncer, me résigner, je veux mobiliser toutes mes forces pour qu'il n'y ait pas de guerre. C'est dans l'intérêt des peuples, c'est dans l'intérêt de tous ceux qui sont concernés par cette situation. Et ce sera, celle-là, la logique de notre attitude, et surtout, nous en sommes convenus entre nous, cette politique de mise en oeuvre de la résolution par des moyens pacifiques, et la coopération qui existe maintenant.

Il a fallu exercer des pressions, mais cette coopération iraquienne qui existe maintenant est encourageante. Peut-être que cette coopération n'est pas suffisante en tous points, mais elle encourageante. Et si les inspecteurs de l'ONU réclament davantage de temps, il faut le leur accorder, c'est l'axe central de notre politique. Je crois avoir dit clairement qu'un assentiment de l'Allemagne n'est pas possible. Je ne veux pas commencer à me lancer dans je ne sais quelle spéculation, je crois que ce que j'ai dit est suffisamment clair, d'ailleurs d'autres ne se privent pas de le critiquer.

QUESTION - Monsieur le Président, une question. On parle toujours, on dit toujours que l'Europe doit parler d'une seule voix. Pour être forte, vis-à-vis également des Etats-Unis, et cela ne résoudra pas les problèmes que la République fédérale ait un siège au Conseil permanent.

LE PRESIDENT - La France a toujours soutenu ce point de vue. Et la France soutient la candidature de l'Allemagne pour un siège permanent au Conseil de sécurité. Vous savez parfaitement que cela pose un certain nombre de problèmes et cela suppose un certain consensus qui n'existe pas encore aujourd'hui, non pas vis-à-vis de l'Allemagne, que personne ne conteste, mais vis-à-vis des conditions même de l'élargissement. Mais la France continuera à apporter son soutien à l'Allemagne dans ce domaine.

QUESTION - Enfin, ce qui est impressionnant, je m'adresse à vous deux, Monsieur le Président et Monsieur le Chancelier, c'est que vous avez l'air d'être sûrs de vous. Il n'y aura pas dans les semaines qui viennent de possibilités de légères différences, même ténues, dans les prises de positions française et allemande au sujet de l'Iraq à l'ONU ?

LE PRESIDENT - La France garde toute sa liberté d'appréciation à l'ONU, ce qui est légitime pour un membre permanent du Conseil de sécurité. Ce que je peux vous dire, c'est que, tous les jours, la présidence française du mois de janvier, et la présidence allemande qui va lui succéder, tous les jours, il y a un contact permanent entre nous à New York.

QUESTION - Alors, vous voulez une Europe forte. Que la France et l'Allemagne se mettent au service de cette Europe, mais en même temps, il y a des pays qui disent : eh bien, oui, mais la France et l'Allemagne sont les mauvais élèves de l'Europe, elles ne respectent pas le Pacte de stabilité, alors vous êtes blâmés, réprimandés. M. AZNAR, le Premier ministre espagnol, a même dit : en ne respectant pas le Pacte de stabilité, la France et l'Allemagne mettent l'euro en danger. Monsieur le Président.

LE PRESIDENT - Je constate que l'euro se porte plutôt bien. Certains, même, trouvent qu'il se porte trop bien. Je ne critiquerais pas, naturellement, et je me réjouis de cette situation. La France et l'Allemagne, qui ont connu des problèmes économiques, font un effort important dans le respect des règles qui ont été, à juste titre, établies, pour assumer la situation économique qui est la leur avec les conséquences sociales que cela comporte.

QUESTION - Monsieur le Chancelier, pour les petits pays, est-ce que cela ne paraît pas curieux que les deux grands, qui en plus sont liés par un contrat d'amitié, disent : oh, finalement, l'assouplissement du Pacte de stabilité, ce n'est pas si important ?

LE CHANCELIER SCHROEDER - Les deux grands pays n'ont pas dit cela. Donc, il n'y a pas lieu que les plus petits redoutent quoi que ce soit. D'ailleurs, chaque fois que nous nous mettons d'accord, il y a ces craintes qui sont parfois formulées. Mais les craintes sont plus grandes et s'entendent plus fort lorsque nous ne nous entendons pas. Si, comme à Nice, nous abordons le Conseil européen sans accord franco-allemand préalable, nous faisons l'expérience que les choses se passent mal. Dans les sommets, non. En ce qui concerne ce Pacte de stabilité, il ne s'agit pas de le mettre en cause, mais nous considérons, l'un et l'autre, qu'il ne faut pas ériger en dogme un seul critère économique. Outre le respect des déficits, nous devons également veiller à ce que la croissance reste au rendez-vous, parce que la croissance est la condition préalable pour combattre efficacement le fléau du chômage. Et je disais déjà que cette interprétation plus flexible du pacte, sans pour autant le mettre en cause, cette interprétation du pacte, nous l'avons abordée dans des discussions approfondies et amicales notamment avec la Commission qui est la gardienne du pacte. Donc, premièrement, personne n'a peur, personne n'a lieu d'avoir peur. Donc, ce n'est pas fondé.

QUESTION - On dit toujours que la France et l'Allemagne sont le moteur de l'Europe, et il y a eu un certain nombre d'initiatives françaises en ce qui concerne, du côté de l'Allemagne, par exemple la double présidence de l'Europe, est-ce que ce n'est pas une forme d'exportation de la cohabitation à l'échelle de l'Europe ?

LE PRESIDENT - Cher Monsieur, dire cela, c'est faire peu de cas de nos traités. Il y a toujours eu, dans nos institutions, trois présidences : le Parlement, le Conseil européen et la Commission. Toujours. A ma connaissance, il n'y a jamais eu de conflit entre le président de la Commission et le président du Conseil. Il y a eu des conflits au sein du Conseil. Il y a eu des conflits au sein de la Commission. Il n'y a jamais eu de conflit entre le président de la Commission et le président du Conseil. Je ne vois pas pourquoi il y en aurait demain, alors, que simplement, nous avons, non pas modifié l'équilibre institutionnel, mais nous avons tout simplement renforcé la capacité de chaque présidence à assumer ses responsabilités, alors que nous voyons bien que les problèmes sont de plus en plus nombreux et de plus en plus complexes avec l'approfondissement de l'Europe et avec l'élargissement de l'Europe.

Vous voyez, en clair, ce qu'il faut aujourd'hui, c'est que nous soyons les moteurs, effectivement, d'une action consistant, pour tous les pays européens, à mettre ensemble leur volonté et leur capacité afin d'assurer la vie la meilleure possible aux Européens de demain et de permettre à l'Europe d'exister dans le monde de demain.

QUESTION - Monsieur le Président, nous avons beaucoup parlé de l'histoire tout à l'heure, et d'une certaine manière, l'élargissement, c'est de l'histoire. Il y a quinze ans, personne n'aurait imaginé que les pays de l'Est puissent adhérer à l'Union européenne. Et pourtant, cet élargissement n'est pas vécu comme étant un grand événement historique par les populations de l'Europe de l'Ouest. Pourquoi ? Vous le regrettez ?

LE PRESIDENT - Chaque fois que l'Europe s'est élargie, et elle s'est élargie un certain nombre de fois depuis l'origine où l'on était à Six, cela s'est fait, je dirais, dans une certaine indifférence ou même avec un certain esprit critique. Et puis, cela n'a pas empêché l'Europe de s'élargir et plus personne ne le conteste aujourd'hui. Il en va de ce prochain élargissement comme il en a été des précédents. L'ambition de l'Europe, c'est d'assurer pour les générations futures l'enracinement de la paix, de la démocratie et du progrès économique et social. Mais c'est d'abord et avant tout l'enracinement de la paix et de la démocratie. Et cela suppose que l'Europe s'élargisse aux limites même de ses frontières.

QUESTION - Monsieur le Chancelier, dans l'Europe à vingt-cinq, il y a un vieux fond de méfiance français qui demeure. Maintenant la Chancellerie est à Berlin, elle n'est plus à Bonn. Alors, avec ces vingt-cinq pays et l'élargissement vers l'Est, est-ce que l'Allemagne va tenir, toujours autant que par le passé et qu'aujourd'hui d'ailleurs, à cette union, à cette amitié, à cette coopération avec la France ?

LE CHANCELIER SCHROEDER - Oui et non. Je trouve qu'il est toujours juste d'évoquer le passé, d'assumer la responsabilité du passé. Un peuple qui oublie son histoire n'a ni présent ni avenir. Et, par conséquent, se confronter à son passé, avoir conscience de ce qui s'est passé est indispensable pour pouvoir assumer cette histoire et avoir un avenir. Pour ce qui est de Berlin, personne n'a redouté que le tissu démocratique de l'Allemagne ait pu être transformé par le déménagement de Bonn à Berlin. Donc ce n'est pas une autre République. Heureusement, nous sommes réunifiés. Notre pays est plus grand. Mais nous sommes obligés et nous resterons obligés par les mêmes valeurs, des valeurs qui unissent la France et l'Allemagne. Ce sont les valeurs que l'on a connues dans la Révolution française. Ce sont les valeurs de l'Aufklärung ou du Siècle des lumières, essentiellement en France, en Allemagne, c'est le socle fondamental de ma politique et c'est le socle fondamental de notre politique commune.

QUESTION - Puisqu'il s'agit d'avancer l'Europe, où sont les frontières de l'Europe ?

LE CHANCELIER SCHROEDER - Je crois que nous venons de décider l'adhésion de dix pays en 2004. Ensuite, la Roumanie et la Bulgarie suivront. La promesse leur en a été faite. D'ailleurs, l'Europe ne s'est jamais seulement définie par la géographie mais toujours aussi par la politique et la culture. Et nous avons fait en sorte que le processus de rapprochement entre la Turquie et l'Europe, qui est très complexe, qui réclamera sans doute beaucoup de temps, nous avons veillé à ce que ce rapprochement reste possible. Celui qui voudrait avoir une image statique de cette Europe commettrait une erreur. Et celui qui se limiterait à une définition géographique commettrait aussi une erreur. Cela, c'était d'actualité dans le passé. Ce n'est plus d'actualité à l'avenir.

QUESTION - Et sur la Turquie, tout de même, Monsieur le Président, vous êtes sûr que la Turquie va vraiment adhérer à l'Europe, un jour ?

LE PRESIDENT - Cela dépend d'elle, essentiellement. C'est-à-dire de sa capacité à assurer les droits et libertés que nous appelons les critères démocratiques et d'économie de marché que nous avons définis à Copenhague. Et cela dépend de la Turquie de les mettre en oeuvre.

QUESTION - Juste une dernière question. Il y a un grand pays européen dont on n'a pas parlé, c'est la Grande-Bretagne. Quel message, vous deux, aujourd'hui, Français, Allemand, avez-vous envie d'envoyer à Tony BLAIR ?

LE PRESIDENT - Un message d'abord d'amitié, naturellement, et de solidarité. Il n'y a pas d'Europe sans l'Angleterre, pas plus qu'il ne peut y avoir d'Europe sans tel ou tel des pays qui la composent. Et nous souhaitons donc que l'union de l'Angleterre avec l'Europe soit indissociable, indissoluble.

LE CHANCELIER SCHROEDER - Je ne peux que partager cette remarque et j'ajouterais que ce que nous faisons ensemble, dans la relation franco-allemande, n'est dirigé contre personne en Europe, ou dans le monde. Cela sert la cause de cette Europe commune dont la Grande-Bretagne fait partie. C'est ce que nous appelons de nos voeux et nous oeuvrons pour cela.

QUESTION - Merci, Monsieur le Président. Merci, Monsieur le Chancelier.