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CONFERENCE DE PRESSE

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

A L'ISSUE DE LA REUNION INFORMELLE EXTRAORDINAIRE
DU CONSEIL EUROPEEN

BRUXELLES - BELGIQUE

LUNDI 17 FEVRIER 2003

LE PRESIDENT - Bonsoir Mesdames, Bonsoir Messieurs,

Nous venons donc de terminer notre dîner de travail et je voudrais que mes premiers mots soient pour exprimer à la présidence grecque toute mon estime, je dirais même mon admiration, et toute ma reconnaissance car, dans un contexte qui, chacun le sait, n'était pas facile, la présidence grecque a conduit ce sommet, qu'elle avait voulu et à juste titre, de façon particulièrement efficace. Je dirais que c'est un peu un brillant témoignage de la vieille Europe.

Nous avons pris une position commune, qui vous a été distribuée ou qui va l'être incessamment, qui, pour ce qui me concerne, est satisfaisante. Donc ce n'est pas tellement sur le texte que je ferai un commentaire. Je soulignerai simplement que j'ai observé avec une certaine satisfaction un rapprochement clair des points de vues. Chacun sait que, depuis quelques jours, il y avait une tension entre ceux qui considéraient qu'une guerre pour désarmer l'Iraq était quasiment inévitable et ceux qui estimaient que la voie ouverte par la résolution 1441, c'est-à-dire celle des inspections, conservait toute sa justification. Et nous avons vu dans les déclarations des uns et des autres, ces derniers temps, ces deux points de vue soutenus.

Ce soir, nous avons observé un vrai rapprochement, me semble-t-il. A partir de deux ou trois idées simples. Nous sommes bien sûr tous d'accord pour indiquer que la destruction, l'élimination des armes de destruction massive de l'Iraq est un impératif absolu. Que seul le Conseil de sécurité est habilité dans ce domaine à prendre une décision concernant les moyens. Qu'aujourd'hui, la résolution 1441 reste totalement d'actualité et que rien n'exige qu'elle soit changée, cette résolution qui ouvre la voie à un désarmement par les inspecteurs. Et donc qu'il n'y a pas lieu de changer aujourd'hui de stratégie.

C'est d'ailleurs le sentiment qu'avaient exprimé la Russie, l'Allemagne, la Chine et la France, soutenues d'ailleurs par une majorité du Conseil de sécurité et par un certain nombre de grands pays qui, n'étant au Conseil de sécurité, ont néanmoins apporté leur soutien à cette position. Cela reste la position de l'Union européenne. Alors, naturellement, je ne vous dirai pas que tout est pour autant totalement aplani mais cette mini-crise européenne a été, me semble-t-il, l'avenir le dira, surmontée.

Voilà les quelques observations que je voulais faire, mais je suis tout prêt à répondre à vos questions.

QUESTION - Monsieur le Président, j'ai deux questions, si vous le permettez. Jusqu'où le gouvernement CHIRAC pourrait-il maintenir sa position vis-à-vis de Washington au sujet de la guerre contre l'Iraq ?

Deuxième question : dans le cas d'un déclenchement éventuel de cette guerre contre l'Iraq, quelles seront, selon vous, les conséquences directes sur le conflit israélo-palestinien ?

LE PRESIDENT - Tout d'abord, je le répète, la position de la France ne change pas et n'est pas, dans l'état actuel des choses et sauf événement nouveau qui serait de nature à contredire les raisons-mêmes qui la justifient, n'est pas de nature à changer. Ces derniers jours, il y avait eu l'hypothèse, qui avait été évoquée par certains observateurs, d'une nouvelle résolution. La France avait fait savoir que cette hypothèse lui paraissait dépourvue de fondement et je dois dire qu'on n'en a pas parlé aujourd'hui. Donc, je n'ai pas d'autre commentaire à faire sur ce point.

Quant aux conséquences d'un conflit sur un autre conflit, c'est un problème complexe. Tout ce que je peux dire, je l'ai déjà dit plusieurs fois, c'est que je pense que cette région n'a pas besoin d'un conflit supplémentaire.

QUESTION - Monsieur le Président, selon certaines informations concordantes, votre ministre Dominique de VILLEPIN a indiqué au déjeuner, ou plutôt a laissé entendre au déjeuner, que la date butoir du 14 mars serait la dernière et qu'après, pour reprendre une expression "the game is over". En tout cas, c'est comme cela que ...

LE PRESIDENT - àje vous interromps pour vous dire que cette information est dépourvue, et je le dis devant lui, est totalement dépourvue du moindre fondement. Elle ne mérite donc aucune espèce de commentaire car elle est fausse.

QUESTION - Merci. C'est clair.

QUESTION - Monsieur le Président, le ministre britannique Jack STRAW, cet après-midi, a dit : "de toute façon, pour un recours à la force, on n'a pas vraiment besoin d'une deuxième résolution, il y a un paragraphe dans la 1441 qui parle de graves conséquences s'il y a violation patente par l'Iraq de ses obligations à l'égard l'ONU. Mais, politiquement, pour nous, c'est plus correct". Alors, est-ce que vous pensez que les graves conséquences qui sont envisagées dans la résolution 1441 peuvent mettre sur la voie d'un recours à la force ?

LE PRESIDENT - Une certaine interprétation permet effectivement de le dire. Mais, en toute hypothèse, cela ne pourrait être que sur le rapport des inspecteurs, premier point, et après une décision et un vote du Conseil de sécurité.

QUESTION - Je n'ai pas vu le texte de la position commune qui vient d'être adoptée mais vous venez de parler de mini-crise. Qu'est-ce que vous entendez par là ? C'est vraiment une mini-crise que l'Europe vient de traverser ? Est-ce qu'elle est achevée, est-ce qu'elle vous semble achevée ?

LE PRESIDENT - On use et on abuse du terme de crise et, vous avez raison de le souligner, après tout, en utilisant celui de mini-crise, je tombe dans cet excès. La construction européenne, ce n'est pas un long fleuve tranquille. C'est un chemin semé d'embûches, avec des pierres, des trous, etc.à Alors, appelez cela comme vous voulez, mais il arrive régulièrement qu'on bute dans les pierres ou qu'on tombe dans les trous. Et cela est vrai depuis que l'Europe existe.

L'intéressant, c'est d'observer qu'on poursuit sur le chemin malgré les embûches. On poursuit. Et c'est cela qui est intéressant. L'important, ce n'est pas l'incident immédiat, encore que, bien entendu, sur le plan médiatique, cela a une grande importance. Mais l'important, c'est le mouvement, c'est la vision. Et l'Europe continue. Elle se construit.

Et je vais vous dire une chose : ce qui est en cause aujourd'hui, c'est la capacité de l'Europe à avoir une politique étrangère et de sécurité commune. Nous l'avons affirmée. Et puis, tout d'un coup, un incident conduit très naturellement à dire : "qu'est-ce que vous nous racontez puisqu'en réalité, vous voyez bien, quand il y a un problème important, vous n'êtes pas d'accord ?" Eh bien, ce sera surmonté, ça aussi. Et nous aurons dans trois ans, dans cinq ans, dans dix ans, une politique étrangère et de sécurité commune. Et cela passe par le fait d'avoir surmonté un certain nombre de difficultés.

J'ai peut être eu tort d'utiliser le mot mini-crise, mais il y a eu une difficulté, je crois qu'elle est en voie d'être surmontée. Nous verrons.

QUESTION - Monsieur le Président, je voudrais vous demander deux choses. Tout d'abord, votre opinion sur la lettre du groupe de Vilnius, donc les pays candidats à l'OTAN, au sujet de cette position. Et puis, qu'est-ce que vous allez dire demain aux pays candidats à l'Union européenne sur la mini-crise que vous venez de traverser ?

LE PRESIDENT - Moi, je ne dirai rien demain parce que je serai parti. Je plaisante, naturellement. Mais votre collègue a raison de poser la question. Demain, les Dix, pas ceux de Vilnius, les dix candidats qui vont entrer en principe en 2004, vont se réunir et compte-rendu leur sera fait de nos délibérations par ce que l'on appelle la troïka, c'est-à-dire le président grec,
M. SOLANA et M. PRODI.

Alors, quand vous évoquez la position qui a été prise, il y a eu deux choses. Il y a eu, d'une part, trois pays qui ont signé la lettre, que cinq autres pays de l'Union européenne avaient proposée, concernant cette affaire de l'Iraq. C'est cette lettre qui était apparue comme créant une crise ou une mini-crise au sein de l'Union européenne, en tous les cas comme contraire à l'idée d'une politique étrangère européenne commune, à juste titre. Ces trois pays, c'était la Pologne, la Hongrie et la République tchèque. La République tchèque qui, d'ailleurs, avait signé sous la plume de son éminent président, que tout le monde respecte, qu'est M. HAVEL, mais qui avait signé un ou deux jours avant de quitter ses fonctions et, le lendemain, le Premier ministre tchèque avait dit que ça ne l'engageait pas. Peu importe.

En ce qui concerne la déclaration de Vilnius, c'est un peu différent. Elle comprend cinq pays candidats, les trois pays baltes, la Slovénie et la Slovaquie, deux pays candidats dont la candidature a été reportée, qui sont la Roumanie et la Bulgarie, et trois pays qui n'ont pas encore le statut de candidat, c'est-à-dire la Croatie, la Macédoine et l'Albanie.

Je ferai tout de même un commentaire, vous avez eu raison de le souligner, car cela le mérite. Concernant en tous les cas les pays candidats, je ne parle pas des pays qui ne sont pas candidats, mais les pays candidats, honnêtement, je trouve qu'ils se sont comportés avec une certaine légèreté. Car entrer dans l'Union européenne, cela suppose tout de même un minimum de considération pour les autres, un minimum de concertation. Si, sur le premier sujet difficile, on se met à donner son point de vue indépendamment de toute concertation avec l'ensemble dans lequel, par ailleurs, on veut entrer, alors, ce n'est pas un comportement bien responsable. En tous les cas, ce n'est pas très bien élevé. Donc, je crois qu'ils ont manqué une bonne occasion de se taire.

J'ajoute qu'au-delà du côté un peu plaisant ou enfantin de la démarche, elle est dangereuse. Il ne faut pas oublier que plusieurs pays vont avoir, parmi les Quinze, la nécessité de ratifier l'élargissement par la voie du référendum. Or on sait très bien que, déjà, les opinions publiques, comme toujours quand il s'agit de quelque chose de nouveau, ont accueilli l'élargissement avec quelques réserves, sans toujours comprendre exactement l'intérêt qu'il y avait à l'approuver. Alors, évidemment, une démarche comme celle que vous soulignez ne peut que renforcer, dans l'opinion publique des Quinze et notamment de ceux qui feront une ratification par voie de référendum, un sentiment d'hostilité. Or il suffit d'un seul pays qui ne ratifie pas par référendum pour que cela ne marche pas. Donc, ces pays ont été, je dirais, à la fois, disons le mot, pas très bien élevés et un peu inconscients des dangers que comportait un trop rapide alignement sur la position américaine.

Voilà ce que je voulais dire sur ce point.

QUESTION - Monsieur le Président, il y a d'autres pays européens qui font partie des Quinze qui étaient avec les pays qui ont signé les lettres. Pourquoi avez-vous le droit de dire aux pays candidats : "vous ne pouvez pas faire cela", quand des pays comme la Roumanie, l'Espagne, l'Italie et le Danemark se sont mis d'accord avec les Etats-Unis sur ce qu'il faut faire en Iraq ? Pourquoi les uns et pas les autres ?

LE PRESIDENT - Parce que les uns sont candidats et que les autres sont déjà dans la famille. Quand on est dans la famille, on a tout de même plus de droits que lorsque l'on demande à entrer, que l'on frappe à la porte.

Vous comprenez, je ne critique personne. Mais ce n'est pas convenable. Et, alors, vous avez cité la Roumanie dans votre liste. Je trouve que la Roumanie et la Bulgarie ont été particulièrement légères de se lancer ainsi, alors que leur position est déjà très délicate à l'égard de l'Europe. Si elles voulaient diminuer leurs chances d'entrer dans l'Europe, elles ne pouvaient pas trouver un meilleur moyen.

QUESTION - Monsieur le Président, M. Kofi ANNAN a déclaré à Abou-Dabi, il y a deux jours, qu'il n'écartait pas la possibilité de recourir à une deuxième résolution. Or, à votre arrivée, permettez-moi de vous citez, vous avez déclaré, cet après-midi à Bruxelles, qu'il n'était pas nécessaire, aujourd'hui, d'avoir une deuxième résolution, à laquelle la France ne pourrait que s'opposer. Est-ce à dire que, Monsieur le Président, vous n'êtes pas sur la même longueur d'ondes avec M. Kofi ANNAN ?

LE PRESIDENT - Non, ça m'étonnerait parce qu'en général, je suis toujours sur la même longueur d'ondes que Kofi ANNAN. Je ne connais pas les propos que vous lui prêtez mais, ce que je peux vous dire, c'est que je ne vois aucune raison de sortir de la résolution 1441. Et, puisqu'il n'y a pas de raison d'en sortir, eh bien, je suis défavorable à une autre résolution.

QUESTION - Monsieur le Président, il me semble qu'il y ait une différence entre les Américains et les Britanniques, d'une part, et vous-même, la France, d'autre part, à savoir que les deux premiers ne se contentent pas de débarrasser l'Iraq des armes de destruction massive mais veulent aussi renverser Saddam HUSSEIN. Je voudrais savoir quel est votre sentiment. Est-ce que vous pensez que, si Saddam HUSSEIN est débarrassé de ses armes par les inspections, la Communauté internationale doit s'accommoder de Saddam HUSSEIN au pouvoir à Bagdad, qui continuera à tuer des milliers de personnes ?

LE PRESIDENT - Je n'ai aucune sympathie pour M. Saddam HUSSEIN, je n'ai pas besoin de vous le dire. Je l'ai souvent répété. Je dis simplement que vouloir éliminer des armes de destructions massives, cela, c'est un impératif d'intérêt général et qui peut justifier une intervention. Vouloir changer un régime, même si cela peut être justifié, ça veut dire que nous allons nous arroger le droit, et peut être un seul pays va s'arroger le droit, quand il en aura envie, d'intervenir pour changer un régime qui ne lui plaira pas. Il y a beaucoup de régimes qui sont de la même nature et qui ne me plaisent pas. Ce n'est pas pour autant que je considère qu'il faut prendre les armes pour les remplacer.

Je vous remercie.